
Le Dr. Derrick Gibbings, professeur adjoint de médecine cellulaire et moléculaire à la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa, a publié un article intitulé « Selective autophagy degrades DICER and AGO2 and regulates miRNA activity » dans le plus récent numéro de la prestigieuse revue Nature Cell Biology.
"En gros ", explique le Dr. Gibbings, " l’autophagie, qui veut dire étymologiquement se manger soi-même, est un processus par lequel la cellule peut détecter et détruire des constituants toxiques ou dangereux à l’intérieur d’elle même. C’est un processus fascinant que nous voyons souvent un peu comme une sorte de jeu de PacMan se déroulant dans toutes les cellules du corps. Dans l’autophagie, la cellule crée une grande enveloppe qui avale les constituants dangereux ou endommagés et les met de côté en attendant de pouvoir le dégrader. "
Le Dr Gibbings ajoute que les chercheurs savent depuis une vingtaine d’années que ce processus joue un rôle essentiel dans la lutte des cellules contre plusieurs types d’infections et de maladies. Lorsqu’une mutation génétique ou une maladie nuit au bon fonctionnement de l’autophagie, la cellule ne peut plus procéder à son « autonettoyage » et les constituants toxiques s’accumulent. La cellule perd sa capacité de fonctionner normalement et de maîtriser sa croissance. Les défaillances du processus seraient la cause de certains cancers et de certaines maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer. Ce rôle crucial de l’autophagie a incité les sociétés pharmaceutiques à investir d’immenses ressources dans des travaux visant à activer le processus pour traiter le cancer ou la maladie d’Alzheimer, parmi d’autres.
Le Dr. Gibbings, en collaboration avec ses collègues de l’Institut fédéral suisse de technologie, l’Institut Pasteur et l’Imperial College, à Londres, pense avoir trouvé une des raisons pour lesquelles l’autophagie a des conséquences aussi graves dans des maladies comme le cancer. Ils ont constaté qu’en inhibant l’autophagie, ce qui reproduit la situation propre aux cellules cancéreuses, on enraye du même coup un mécanisme de régulation des gènes et certaines fonctions cellulaires. Ils ont observé que l’autophagie dégrade certaines protéines essentielles au bon fonctionnement des micro-ARN, peut-être pour assurer le renouvellement et la maîtrise d’éléments vieillis du système. Les micro-ARN sont une classe d’ARN de petites dimensions récemment découverte. Ils régulent de nombreux processus physiologiques, qu’il s’agisse de l’apprentissage, de la croissance cellulaire ou du cancer.
"Ce qui a piqué notre curiosité ", raconte le Dr. Gibbings, " c’est qu’une inhibition de l’autophagie amenait une réduction des niveaux de micro-ARN. Or, nous savons depuis plus d’une dizaine d’années qu’une baisse des niveaux de micro-ARN est observée dans presque tous les cancers, et que ce phénomène favorise le développement et la dissémination de la tumeur. Nous croyons avoir découvert le chaînon manquant, entre certains dysfonctionnements de l’autophagie, d’une part, et le rôle des micro-ARN dans le cancer, d’autre part. C’est un nouveau lien entre deux phénomènes propres aux cellules cancéreuses qui étaient jusqu’à maintenant considérés comme indépendants l’un de l’autre. " Le Dr. Gibbings pense que cette découverte devrait aider les sociétés pharmaceutiques à mettre au point des médicaments efficaces contre le cancer.
Même si l’équipe n’a pas examiné d’autres maladies où l’autophagie joue un rôle, les chercheurs estiment néanmoins que des complications liées aux micro-ARN sont probablement présentes dans ces pathologies.
" C’est un nouvel aspect à explorer pour les chercheurs, dans toutes ces pathologies comme la maladie d’Alzheimer et de Parkinson ou la chorée d’Huntington, où nous savons que l’autophagie est déficiente. Nos travaux laissent penser qu’il en résulte un non-fonctionnement de la voie des micro-ARN, et qu’il pourrait s’agit d’un facteur contributif important au processus pathologique qui finit par amener les patients à l’hôpital ", conclut le Dr. Gibbings.
Le chercheur est très enthousiaste par rapport à la mise en place de son propre groupe de recherche à l’Université d’Ottawa et pense que malgré les découvertes récentes, il reste encore beaucoup de questions à élucider en ce qui a trait au rôle des défauts de régulation de l’ARN dans de nombreuses pathologies. « Des mutations de plusieurs gènes qui assurent la régulation de l’ARN causent des maladies, et notre tâche est de comprendre comment, et de trouver une solution », dit-il.